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L'information en ligne, l'autre conflit syrien

Plus insidieux que le conflit armé qui ensanglante la Syrie, un front Web a émergé depuis quelques semaines.

Par Shahzad Abdul

Publié le 13 août 2012 à 11h17, modifié le 13 août 2012 à 13h50

Temps de Lecture 4 min.

Des vidéos publiées sur YouTube par l'Armée syrienne libre.

"Internet sera le meilleur ami des tyrans", avait prédit il y a quelques années Evgeny Morozov, chercheur biélorusse spécialisé dans les implications politiques et sociales des nouvelles technologies. Lors des soulèvements au Maghreb et au Moyen-Orient, souvent étiquetés "2.0", les réseaux sociaux et les smartphones ont joué un rôle important dans les mobilisations populaires ; en Syrie, le pouvoir baasiste semble avoir tiré les leçons du "printemps arabe", et réfléchi en profondeur aux questions de la cyber-dissidence.

Au-delà du conflit armé traditionnel, de terrain, s'est formé un second front, sur la toile, où fausses informations, manipulations, propagandes et contre-propagandes font rage. Difficile d'y démêler le vrai du faux. Il en est ainsi de l'histoire rocambolesque du général russe Vladimir Petrovitch Kotchiev, d'abord annoncé comme mort dans une vidéo postée sur YouTube par un groupe armé de l'opposition, information faisant l'objet de démentis contradictoires. L'intéressé a finalement dû prouver son existence lors d'une conférence de presse télévisée. Les fausses déclarations de défections ou de prise de tel ou tel quartier d'Alep se multiplient ces derniers jours. Et ce, de la part des deux camps.

Du côté de la rébellion, appuyée par le Conseil national syrien (CNS, principale force d'opposition), cette cyber-dissidence reste menée par des amateurs. "Ce sont surtout des jeunes intellectuels de la classe moyenne supérieure, qui sont aidés par une forte diaspora qui échappe de fait à la censure sur Internet", explique Mathieu Guidère, géopolitologue et spécialiste du monde arabe. Leur principal terrain : les réseaux sociaux et les sites de partage. Via Twitter, Facebook ou encore YouTube, ils informent, avec plus ou moins de précision, de la situation dans les différentes villes du pays. Qu'importe, il faut toucher la communauté internationale et l'opinion occidentale. "Mais les informations ne passent pas si facilement. Il faut souvent faire transiter les vidéos par l'étranger. Le verrouillage du système de télécommunications oblige l'Armée syrienne libre à travailler de manière fragmentée, non coordonnée", poursuit l'enseignant à l'université de Toulouse II. Par exemple, les chefs rebelles sont contraints de se rencontrer physiquement pour prendre toute décision, étant donné la dangerosité du téléphone, aisément localisable.

L'EXPERTISE OCCIDENTALE

Car le régime de Bachar Al-Assad, lui, s'est véritablement professionnalisé. La principale société de télécommunications SyriaTel, ainsi que les fournisseurs d'accès à Internet, sont la propriété de Rami al-Makhlouf, un cousin du président. "L'armée électronique syrienne et les renseignements militaires ont repris cela en main, et se servent des données récoltées à des fins répressives. Si un opposant poste une vidéo à partir d'une adresse IP localisée en Syrie, il a 99 % de chances d'être localisé dans l'heure et de recevoir une visite des chabihas – milices supplétives du régime – dans les trois heures, ajoute Mathieu Guidère. Ils sont très professionnels : au lieu de bombarder un relai téléphonique, ils vont y positionner des mouchards. Ils ne font pas dans le spectacle, mais dans l'efficacité."

Mais le contrôle des réseaux de communication ne veut pas dire que le régime les maîtrise : jusqu'à il y a quelques semaines, Damas peinait à faire entendre sa voix sur la scène internationale. Ses messages transitaient surtout par la télévision d'Etat, l'agence de presse officielle Sana, les relais du Hezbollah libanais comme la télévision Al-Manar ou la presse iranienne. Pas de quoi attirer la sympathie occidentale. Pour Mathieu Guidère, le vrai tournant survint avec le retour de Vladimir Poutine à la présidence russe, en mars. A partir de cette date, le point de vue de Damas a été très largement relayé. "L'agence de presse russe Itar-Tass a sûrement reçu des consignes. Par ailleurs, on sait grâce aux documents révélés par WikiLeaks – 2,5 millions de courriels échangés par le régime de Damas, que des sociétés occidentales, notamment américaines et françaises – comme ––, ont apporté leur expertise au pouvoir de Bachar Al-Assad dans le domaine de la communication." Les rebelles, bien qu'amateurs, sont conscients de l'enjeu du Web. "Ils ont le soutien populaire, ce qui leur permet d'engranger des vidéos de tout ce qui se passe sur le territoire", renchérit-il.

"ASSAD A COMBLÉ TOUTES LES FAILLES DE SON CYBER-SYSTÈME"

Aujourd'hui, ce pan du conflit est devenu si crucial que "lorsque le régime arrête un dissident, la première chose qu'on lui demande est son identifiant et son mot de passe pour les réseaux sociaux", affirme François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et responsable de l'Observatoire géostratégique de l'information. Pour lui, le parti Baas, habitué aux conflits d'usure psychologique, est génétiquement structuré pour ce type de guerre d'information. Mais cette dernière ne peut être décisive seule. Car sur le terrain, les répercussions d'une cyber-opposition restent nulles ou presque. Pour François-Bernard Huyghe, si les rebelles ont l'avantage dans cette cyber-guerre, c'est-à-dire, s'ils emportent une plus large adhésion de l'opinion internationale, cela reste surtout symbolique. "S'il suffisait de se mobiliser sur Internet, cela fait longtemps que les Saoudiens ou les Bahreïnis auraient renversé leur régime. Or, la répression l'a emporté", précise-t-il.

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D'ailleurs, pour Mathieu Guidère, si Damas venait à mater la rébellion, il en sortirait largement renforcé. "Bachar–

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